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Origine :
http://listes.rezo.net/archives/cntait-info/2003-05/msg00015.html
* To: cntait-info (a) rezo . net
* Subject: [Cntait-info] CHRONIQUE ANTI-INDUSTRIELLE
* Date: Sun, 18 May 2003 23:03:38 +0200
*CHRONIQUE ANTI-INDUSTRIELLE*
http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=696
L'action pour laquelle Bové et Riesel ont été
jugés, le 19 novembre 2002 à Montpellier, est la dernière
qu'ils ont faite ensemble, leurs chemins ayant par la suite divergé.
C'est précisément un axe qui semble important dans
leurs divergences d'analyse, le citoyennisme, qu'il me paraît
utile d'analyser dans cette chronique. Il définit à
lui seul, à mon avis, deux façons d'aborder la lutte
ou de résister au système, deux courants d'opposition
: l'un collaborationniste et l'autre radicalement opposé
au système.
Cette analyse explique aussi pourquoi, à cause du citoyennisme,
l'unité et les luttes dans quelques domaines qu'elles soient,
sont si souvent compromises avant d'avoir commencé. Elle
donne également quelques raisons de soutenir René
Riesel et de critiquer vivement José Bové auquel,
bien évidemment, nous ne souhaitons pas pour autant la prison.
Depuis le démontage du Mc Do à Millau, José
Bové a entretenu la confusion en entraînant la lutte
anti-OGM dans une démarche étatiste, anti-mondialiste,
citoyenniste. Croyant pouvoir profiter du rôle de star éphémère
que les médias recherchent en permanence, le malin gaulois
de la Confédération Paysanne pensait pouvoir tout
bousculer, tout utiliser dans son combat, du directeur de l'OMC
au sous-commandant Marcos, de Pasqua à Chevènement,
de Jospin jusqu'à la fête de l'Humanité, pour
finir par appeler à voter Chirac. Son choix politique de
l'efficacité médiatique a montré une fois de
plus son revers. C'est lui qui se retrouve en réalité
utilisé, manipulé par une classe politique et les
médias aux ordres. Il en est réduit à demander,
ou à faire demander, pour lui la grâce présidentielle.
C'est pitoyable, c'est comme s'il demandait pardon de ses fautes.
Que peut-il bien subsister à présent de son opposition
aux OGM ?
René Riesel, quant à lui, est parti de la Confédération
Paysanne et tient absolument à se démarquer de Bové
et de ses acolytes citoyennistes, à assumer pleinement ses
actes.
Cette idée de citoyennisme est importante à recadrer
dans la réalité, pour bien saisir l'illusion qu'elle
entretient, les intérêts divers qu'elle sert, et pourquoi
il ne peut y avoir de contestation crédible et cohérente
quand elle la monopolise grâce aux médias.
L'illusion du citoyennisme
Cette notion de citoyennisme s'inscrit bien évidemment dans
une vision idyllique et trompeuse de l'Etat. Etat dans lequel il
suffirait aux citoyens d'être actifs, informés, de
voter correctement, pour que son fonctionnement -- et la mondialisation
du capitalisme s'en trouvent changés, limités, taxés,
contrôlés, maîtrisés. Si cette vision
du citoyen de base actif et responsable qui s'informe, qui lutte,
qui participe est sympathique en théorie, il n'en reste pas
moins qu'en pratique les réalités de la société
industrielle n'encouragent vraiment pas ce genre d'individu, bien
au contraire. Un monde complexe et incontrôlable, une spécialisation
de tout, une délégation de pouvoir qui y est généralisée,
dépossèdent une bonne partie des individus de la compréhension
qu'ils devraient avoir de leur société et de l'action
qu'ils sont supposés avoir sur elle, voire même sur
leurs élus.
Faire l'apologie du citoyennisme, c'est déjà refuser
de voir les limites de la démocratie représentative,
de voir le formatage de l'individu moderne, la maîtrise de
son information par les médias, les réunions à
huis-clos sur le budget ou autres négociations qui, de fait,
lui sont interdites. C'est ignorer, peut-être volontairement,
les rapports confidentiels dont il ne peut prendre connaissance
et qui pourtant le concernent directement. C'est refuser de prendre
en compte les conditions de vie et de travail, pas toujours confortables,
de ce citoyen moderne. Sa vie relève plus en réalité
d'un embrigadement que d'un épanouissement personnel. L'individualisme,
l'arrivisme, une consommation de tout, de matériels, de bouffe,
de peur, d'émotions, de loisirs, de nature, de films, de
prêts à penser, d'apparences, de personnalités
toutes faites et modélisées, sont, en général,
ses préoccupations majeures. Le supposé citoyen des
temps modernes est persuadé de l'énorme avantage qu'il
a à profiter du modernisme, du progrès technique tant
qu'il n'en est pas victime ou malade. Il est prêt à
ramasser des maladies, de la misère à pleines mains,
comme le mazout sur les plages, parce que les spécialistes
l'auront convaincu que la balance coût-bénéfice
est avantageuse pour la collectivité ou son confort personnel
et qu'aucune autre alternative n'est possible.
Il doit désormais se faire à l'idée que sa
vie a un prix et qu'elle peut être sacrifiée sur l'autel
de la science et de l'industrie. Ce prototype du citoyen moderne
délègue de plus en plus son pouvoir, sa vie, sa réflexion
à des spécialistes politiques, scientifiques, syndicaux
voire à des machines. Il leur abandonne le soin de décider,
de s'informer, d'agir, de lutter, d'exister à sa place. Ce
brave citoyen ne peut que se transformer en un individu informé
mais ignorant, assisté, individualisé, manipulé,
ballotté dans des logiques qu'il ne comprend pas ou plus.
Il n'a alors pas d'autres alternatives que celles toutes digérées
qu'on lui sert dans une urne ou à la télé.
La survie qui lui est servie sur un plateau par ce système
industriel ne peut que limiter son action citoyenne au bulletin
de vote ou à quelques actions de bénévolat
pour garder une image de soi pas trop négative et un semblant
d'esprit responsable.
Pour que le citoyen ait vraiment le sens des responsabilités,
faudrait-il encore qu'il en ait une idée, qu'il ait conscience
de tout ce qui se fait en son nom pour pouvoir les appréhender
qu'il veuille les voir ou qu'il décide de quelque chose !
En réalité l'image du citoyen modèle est un
mythe pour valoriser l'Etat prétendument démocratique
et reporter toute la culpabilité sur ce citoyen tellement
insuffisant et répréhensible. Pourtant la seule chose
qu'on est en droit de reprocher à ce fameux citoyen de base,
la seule responsabilité qui lui incombe, c'est celle de se
laisser endormir, berner, utiliser par ce système et de vouloir
consommer ou de voter pour le moins pire !
Les résultats qui découlent de cet endormissement
de la société civile ne se révèlent
pourtant guère brillants et démontrent que la population
a tort de prendre l'Etat pour un protecteur, un médiateur
ou un régulateur supposé neutre, alors qu'en réalité
il est l'architecte, le maître d'oeuvre, le gérant
de cette société industrielle despotique, de cette
société humaine désintégrée.
A quoi sert ce citoyennisme mythique, cette démagogie ?
Les maîtres à penser qui prônent ce citoyennisme,
prônent en même temps la possibilité d'un Etat
impartial, fort, incorruptible. En général ils y ont
directement intérêt par la place qu'ils occupent dans
les agences pro ou extra gouvernementales. Comme spécialistes
ou co-gestionnaires de l'Etat, ils profitent directement de la soumission,
de la résignation de la population et cela même s'ils
s'en plaignent. Par leur professionnalisme, ils justifient leur
arrivisme et leurs propres renoncements. Ces partisans du "plus
d'Etat" ne sont pas forcément des gens malhonnêtes
ou corrompus et certains pensent sincèrement avoir les qualités
nécessaires pour pouvoir obtenir des améliorations,
des résultats à travers leurs action politique, syndicale
ou scientifique. Ils finissent par devenir des interlocuteurs, des
partenaires sociaux, économiques, et scientifiques respectables,
reconnus par ce système capitaliste industriel. Ils veulent
croire ou nous faire croire à une possible indépendance
des syndicats, de la recherche publique, des partis politiques,
des institutions par rapport aux industriels. Y a-t-il pire sottise,
quand on s'aperçoit que leurs intérêts sont
si liés, si dépendants ?
Dans le courant politique qui essaie de sauvegarder ce citoyennisme,
nous retrouvons principalement une gauche nostalgique des "30
Glorieuses" : Attac, la LCR, la Confédération
Paysanne, SUD, l'Observatoire de la Mondialisation, la mouvance
du Monde Diplomatique, et des fractions du PS et du PC. Organisations
qui aimeraient bien représenter un mouvement social aujourd'hui
inexistant. Ces organisations, comme toutes celles qui n'aspirent
qu'à réformer ou à gérer l'Etat, veulent
nous faire croire qu'avec leurs conseils avisés c'est la
fin de nos malheurs.
Ce mouvement citoyenniste ressort en fin de compte du réformisme,
du conservatisme, d'une résignation ambiante voire quelque
peu réactionnaire de la population. Dans les mots qu'il utilise
ainsi que dans ses revendications, on peut cerner ses intentions
comme ses dérives. Ainsi, il prétend pouvoir contrôler
la mondialisation, réduire les abus des marchés. N'y
a-t-il pas grâce à cela, de bonnes places à
prendre pour ces spécialistes ? Réclamer un Etat fort,
n'est-ce pas pour installer insidieusement dans les têtes
la nécessité d'un élu ou d'un homme fort ?
Utiliser le terme "contre pouvoir" pour manifester une
opposition, n'est-ce pas manifester une volonté de partager
ce pouvoir, de s'en accommoder ? D'autant plus quand ce contre pouvoir
porte en lui les germes du système (hiérarchie, élitisme,
etc.) ?
Si cette idée citoyenne relève d'une démagogie,
d'une duperie politique tout à fait habituelle, par contre
elle offre au système capitaliste, à travers l'Etat,
une adhésion, une illusion de participation, de responsabilisation
de la population. Illusion qui est essentielle à maintenir
dans un contexte de gestion industrielle et de catastrophes diverses.
Elle entretient dans la population l'illusion d'un Etat démocratique
pouvant être influencé, préoccupé de
sa population, alors qu'il est le garant de ce système despotique
et catastrophique.
L'Etat, cet innocent aux mains pleines
L'Etat ne peut être que l'organisateur ou le défenseur
zélé de l'industrialisation avec des conséquences
soigneusement vantées, occultées, falsifiées
ou cachées à la population. Que pourrait bien apporter
de plus une limitation, un contrôle de l'industrialisation
à la mode citoyenne ? Sinon une concentration urbaine pas
moins inhumaine, une industrie chimique pas moins dévastatrice,
un programme nucléaire tout aussi mortifère, une militarisation
tout autant "à la pointe du progrès", une
géno-industrie tout aussi prometteuse, sur laquelle l'Etat
continuerait à baser tous ses espoirs. La responsabilité
de l'Etat et de sa recherche publique dans ces affaires n'a pas
besoin d'être démontrée. L'Etat défend,
soutient et travaille pour l'industrie. Il impose, il encourage
des choix technologiques pour "que le pays ne soit pas à
la traîne d'un point de vue économique ou scientifique".
Ceci est plus que jamais le leitmotiv pour nous faire accepter n'importe
quoi, pour faire rentrer dans le rang les chercheurs récalcitrants.
Ce qui est interdit aujourd'hui est par là même banalisé
et ensuite autorisé, légitimé le lendemain
sur l'autel de l'économie, de la science, de la survie, voire
de la fameuse raison d'Etat. Cette responsabilité de l'Etat
dans ce système industriel et capitaliste est d'autant plus
importante à travestir pour nos dirigeants que les conséquences
que font peser ces activités industrielles se révèlent
catastrophiques ou inhumaines. De toute façon les technologies
employées ne peuvent pas être neutres. Un de leurs
effets, peut être le plus sournois, au-delà du danger
immédiat et du profit qu'elles génèrent, est
de contribuer largement à l'écrasement, à la
soumission, à la résignation voire à l'aveuglement
volontaire de la population. Il importe ensuite à l'Etat
de se donner bonne conscience, une bonne image, grâce à
de pseudo-débats ou "consultations citoyennes"
qui ne servent en réalité qu'à une seule chose,
celle de faire avaliser leur dictature techno-scientifique par quelques
citoyens qui se préoccupent encore de leur avenir. Les citoyens
consultés ou choisis pour la circonstance seront même
traités de "candides" à l'occasion d'une
enquête parlementaire sur les biotechnologies. C'est tout
dire de la considération qui est portée à ce
citoyen de base. Dans ce genre de mise en scène, l'Etat entretient
l'illusion d'une gestion partagée, il fait intérioriser
l'idée de co-responsabilité d'une population qui est
censée désirer bénéficier de tout ce
qui se fait. Malgré leurs efforts pour nous faire prendre
une dictature industrielle pour une démocratie participative,
les technologies imposent d'elles-mêmes des spécialistes,
une gestion centralisée, une hiérarchie sociale et
des exclus, une gestion de catastrophes, une gestion militaire,
un despotisme dans lesquels l'idée de démocratie,
des droits du citoyen ou du syndicaliste ne sont plus qu'un délire
démocratique parmi tant d'autres. Le programme politique
des élus du peuple n'a en réalité plus guère
d'importance, car ceux-ci ne pourront que s'en remettre aux avis
d'experts multiples qui les conseillent dans la gestion de ces divers
désastres sociaux, écologiques ou autres. Ces programmes
ne se rejoignent-ils pas, le moment venu, dans cette fameuse raison
d'Etat ? Pour nous, il est plus que jamais aberrant de présenter
l'Etat comme pouvant être le reflet d'une politique, une providence
ou un régulateur alors qu'il est, de plus en plus, l'architecte,
le maître d'oeuvre, le gérant de ce système
industriel et chaotique voulu irréversible et considéré
comme le seul possible. Toutes les obédiences politiques
qui n'aspirent, par leur progressisme, qu'à gérer
l'Etat et sa société industrielle, qui vénèrent
la science sans se soucier du pouvoir militaro-industriel qui l'entretient,
ne peuvent que participer à nous faire avaler son fonctionnement
autoritaire, son despotisme, sa logique inhumaine.
C'est pourquoi le citoyennisme, qui soutient l'Etat, ne peut que
saboter toute opposition réelle au système.
Demander plus d'Etat ou plus d'investissement des individus pour
le renforcement de cet Etat, comme le font les apôtres du
citoyennisme, revient à demander le renforcement du système
capitaliste industriel lui-même. Demander une recherche et
une expertise publique plus forte pour encadrer la recherche privée,
c'est nier leurs liens idéologiques et financiers. C'est
comme demander plus de syndicats, financés par l'Etat et
les patrons, pour s'opposer aux patrons. Ce n'est pas forcément
croire au Père Noël, puisque c'est déjà
un peu ce qui se passe et que cela ne sert pas à grand chose,
sinon à nous faire accepter petit à petit l'inacceptable
et à saboter les oppositions naissantes.
C'est pour cela que, loin de représenter un frein ou une
opposition au système capitaliste, le citoyennisme médiatisé
et l'opposition qu'il est censé incarner, ainsi que tous
ses propagandistes intéressés à la gestion
de l'Etat, est le meilleur moyen qui soit donné au système
pour désamorcer les luttes ou les orienter dans des impasses.
Assisté par les médias, il monopolise la contestation,
il entretient l'illusion de démocratie et permet de faire
accepter, sans trop de turbulences cette société technologique
despotique.
Ce courant citoyenniste, de par sa modération d'une sagesse
immense, ne désire pas seulement limiter les excès
du capitalisme, il en limite l'analyse et les raisons de lui en
vouloir. C'est la raison pour laquelle cette modération se
retrouve jusque dans ses revendications, comme par exemple celle
sur l'étiquetage et la traçabilité des OGM.
Revendication qui donne l'illusion d'un choix pour le consommateur
et toute leur place aux experts scientifiques, aux industriels.
Finalement, cette revendication, présentée comme une
solution, nous fera accepter ces OGM, puisqu'ils sont incontrôlables
et irréversibles.
Avec cette infinie prudence qui les caractérise, ils s'abstiennent
bien également de remettre en question la science, la technologie
et le monde ahurissant qui les produit, puisque l'Etat y a tant
intérêt. Ce qui, en vérité, pourrait
résumer leur action, c'est un pot pourri de dictons qui dirait
: "on ne crache pas dans la soupe surtout quand on veut manger
à la gamelle et que l'on a le cul entre deux chaises pour
ménager la chèvre et le chou". A suivre...
Jacques CNT AIT Essonne
http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=696
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